Après avoir défini la notion de défense européenne, nous en verrons les avantages et pourquoi, malgré ceux-ci, elle n’advient pas. Nous montrerons qu’il faudrait que cela change et comment.
Qu’est-ce que « la défense européenne » ?
Le concept de défense européenne indique comment constituer une armée européenne, qui fournira d’abord les moyens hors de portée des États membres, surtout les petits, comme les grands commandements, les satellites d’observation et de communication, les moyens de transport stratégiques, etc.
Cela exige une autorité politique, un État fédéral, les États-Unis d’Europe (EUE). Les autres formes d’intégration ont montré leur incapacité à établir une unité de commandement politico-militaire apte à décider de l’emploi de cette armée, de son équipement, de son financement, etc.
Ses avantages
Le processus de génération de force des EUE serait plus rapide que celui de l’UE, dont certaines missions se sont achevées avant la fin de ce processus.
Comme aux États-Unis d’Amérique, les EUE auraient une compréhension du monde, une stratégie et un état-major de défense. Ce dernier développerait des forces terrestre, maritime, aérospatiale et cyber fédérales. Il exprimerait les besoins de rééquipement à un ministre européen de la Défense, qui rendrait efficientes nos dépenses de défense.[1] Les armées européennes mettent en œuvre 178 types de systèmes d’armes, leur interopérabilité est réduite. Les Etats-Unis n’en ont que 30.
Les EUE pourraient affecter €50 milliards par an au rééquipement et la Recherche & Développement. Les EUE unifieraient le marché des biens et services de défense et mèneraient une politique industrielle de défense innovante. Les économies d’échelle dans la base industrielle et technologique de défense (BITD) seraient substantielles. Elles rendraient le renouvellement du matériel moins onéreux.
Une armée fédérale produirait les capacités militaires nécessaires à notre sécurité et notre défense. Aujourd’hui, seuls quelques milliers de soldats[2] sur les 1.500.000 militaires européens sont utilisables en opérations extérieures. Les autres sont affectés à des tâches administratives, logistiques, de formation, territoriales, etc. ou ils ne sont pas bien équipés et entraînés.
Pourquoi ne progresse-t-elle pas ?
Depuis le XVIIIème siècle, toutes les personnes cultivées d’Europe savent comment se sont constitués les Etats-Unis. Victor Hugo a proposé les EUE en 1849, et bien d’autres après lui, mais ils n’ont été écoutés. Cela nous a valu des dizaines de millions de morts et de blessés, des destructions horribles et un déclassement collectif. De nombreux Américains sont morts pour rétablir la paix et la liberté en Europe.
Nos dirigeants continuent à refuser de céder des compétences à un pouvoir supranational, à quelques exceptions près, comme le commerce extérieur, passé à la Commission européenne en 1957, ou la politique monétaire, dévolue en 1999 à la Banque centrale européenne. La coopération franco-allemande instituée par le traité de l’Élysée en en 1963 n’a pas donné beaucoup de fruits et le traité franco-italien du Quirinal du 26 novembre 2021 fera de même.
Est-il raisonnable de continuer à se faire défendre par l’OTAN, c’est-à-dire par les Etats-Unis ?
L’UE met en œuvre des structures politico-militaires, mais elle n’a aucune capacité militaire, cela s’est vu à Kaboul en août 2021. Elle n’a donc aucun poids sur la scène géopolitique. C’est pourquoi, lors de la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord, tenue à Bruxelles le 14 juin 2021, les chefs d’État et de gouvernement se sont dits attachés au traité de Washington de 1949. Une attaque contre un Allié reste considérée comme une attaque contre tous, mais le flanc Nord-Est de l’OTAN est vulnérable, car la modernisation de l’armée russe, commencée en 2008, a été sous-estimée en Occident. En cas d’attaque russe vers ce flanc, les capacités russes d’anti-accès et de déni de zone permettraient de bloquer l’acheminement de renforts alliés.[3] Les ministres des Affaires étrangères de l’OTAN, réunis à Riga, du 30 novembre au 1er décembre 2021 n’ont guère tiré quelques leçons de l’échec en Afghanistan. Ils ont constaté seulement une mauvaise perception de la situation sur le terrain et la nécessité de renforcer les consultations politiques entre Alliés.
Nous ne pouvons guère compter sur les Etats-Unis, car ils n’ont pas gagné la guerre de Corée en 1953, ils ont perdu celle du Vietnam en 1975, ils ont été chassés d’Iran en 1979. En 2003, ils ont détruit l’armée de l’Irak, et mis les alliés de l’Iran au pouvoir. Pendant 20 ans, ils ont échoué à vaincre Al-Qaïda et les talibans, puis ils se sont piteusement retirés d’Afghanistan. Au Levant, contre Daech, les Russes ont été plus efficaces que les Etats-Unis, qui sont peu actifs au Sahel.
Que faire ?
Quelques petits États, les moins souverains, devraient convoquer une Assemblée constituante et adopter une constitution fédérale qui confierait aux EUE, en tout ou en partie, les relations extérieures, la sécurité et la défense. Puis, le noyau fondateur s’élargirait, comme les zones Schengen et Euro. Espérons que le gouvernement allemand pour la législature 2021-2025 fera plus pour accroître la souveraineté stratégique de l’Europe que ne l’a fait Mme Merkel.
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[1] Les $356 milliards dépensés en 2019 selon le SIPRI par les états européens, auraient dû produire 50% de capacités militaires par rapport à celles des Etats-Unis ($750 milliards de dépenses), mais ils n’ont guère produit que 5 à 6% de ces capacités militaires.
[2] L’UE déploie 5.000 militaires et civils dans 6 missions et opérations militaires et dans 11 missions et opérations civiles. L’opération Barkhane de la France au Sahel comptait 5.100 soldats. En avril 2021, l’armée russe a fait manœuvrer, à proximité de l’Ukraine, 300.000 soldats, 35.000 systèmes d’armes terrestres, 180 navires et 900 avions.
[3] Voir Joseph A. Day, Renforcer la dissuasion à l’Est, Bruxelles, Assemblée parlementaire de l’OTAN, n° 168 DSC 18 F fin, https://www.nato-pa.int/download-file?filename=/sites/default/files/2018-12/2018%20-%20DISSUASION%20DE%20L%27OTAN%20-%20RAPPORT%20DAY%20-%20168%20DSC%2018%20F%20fin.pdf, 17/11/2018.
Jean Marsia
Président-fondateur de la Société européenne de défense AISBL (S€D) - www.seurod.eu.
En 2015, le colonel administrateur militaire e. r. Marsia est devenu docteur en sciences politiques de l’Université libre de Bruxelles et en sciences sociales et militaires de l'École royale militaire (ERM). Il avait conseillé le ministre de la Défense de 1999 à 2003, avait été directeur de l'Enseignement académique de l’ERM de 2003 à 2009 et avait été conseiller défense du Premier ministre en 2013 et 2014.